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Pôle emploi sous haute tension

Grève, dix syndicats de l’établissement public ont appelé à se mobiliser, le 1er février. Avec l’avalanche de plans gouvernementaux et la réforme de l’assurance-chômage, les conditions de travail se sont dégradées. Les coups de pression managériaux et les revalorisations salariales faméliques attisent la colère.

La coupe a débordé. Ce mardi, l’ensemble des syndicats de Pôle emploi (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, Snap, SNU, STC, SUD, Unsa) ont appelé à la grève dans toute la France. Cette mobilisation d’une rare ampleur fait écho à l’avalanche de plans et dispositifs tombés sur les agents ces derniers mois : remobilisation des chômeurs de longue durée et de très longue durée, contrat engagement jeune (CEJ), renforcement des contrôles des privés d’emploi, réforme de l’assurance-chômage… En cette année électorale, les mesures imposées par Emmanuel Macron ne laissent aucun répit à des conseillers également touchés par le Covid. Si Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi, a assuré dans les Échos comprendre la« fatigue »des salariés, les réponses n’ont pas été à la hauteur.« Quand nous avons demandé en CSE central de détendre certains dispositifs, on nous a répondu que c’était hors de question pour ceux du gouvernement, raconte Guillaume Bourdic, représentant de la CGT dans cette instance. La direction n’a concédé que des broutilles. En novembre et décembre 2021, les collègues ont dû recevoir de manière individuelle ou collective tous les demandeurs d’emploi de longue durée et certains de très longue durée pour leur imposer une prestation ou une formation. Cela a été très mal vécu en interne. Ça remet complètement en cause le travail des conseillers. Nous ne voulons pas être au service d’un candidat pour l’élection présidentielle. »

Les négociations annuelles sur les salaires ont achevé de remuer le couteau dans la plaie. La direction générale a promis 1 % d’augmentation aux agents de droit privé et confirmé un royal 0 % à ceux de droit public. On nous a même dit que nous pourrions avoir 1,5 % de hausse si nous renoncions à la grève, poursuit le syndicaliste.Les agents de droit privé ont vu leurs revenus chuter de 13,4 % et ceux de droit public de 20 % par rapport à l’inflation depuis dix ans. Nous demandons juste une forme de rattrapage. Seule une catégorie de personnel voit sa rémunération grimper : l’encadrement. Les directeurs d’agence et les responsables d’équipe pourront percevoir une prime de performance en fonction de la réalisation des

objectifs individuels et collectifs. Pour les récompenser, Pôle emploi a débloqué une enveloppe de 9 millions d’euros. Dans un contexte de pression exacerbée, cette décision n’est pas sans risques. Un peu partout, les conditions de travail des conseillers se détériorent. Pendant que le gouvernement affiche une baisse du chômage de 5,9 % au quatrième trimestre en catégorie A (chômeurs n’ayant pas travaillé), la charge de travail suit la courbe inverse. Si la direction a accepté de retarder la mise en place d’une de ses réformes, le conseiller référent indemnisation (CRI), c’est que les agents sont déjà noyés.« Depuis les nouvelles règles d’assurance-chômage, chaque cas demande beaucoup plus de travail. Le privé d’emploi doit fournir des documents sur les trente-six derniers mois. Nous devons regarder où sont les périodes de congé et les interruptions de contrats. Avant d’avoir tous ces éléments, on fait un calcul provisoire qui aboutit à une allocation dérisoire. Sinon, les chômeurs devraient attendre trop longtemps avant d’être indemnisés. »

Pour Francine Royon, déléguée régionale de la CGT en Île-de-France, le point de non-retour est atteint :« Les collègues veulent marquer le coup avec la grève d’aujourd’hui. Nous sommes arrivés au bout de ces méthodes. Par exemple, nous passons énormément de temps à faire du codage. Un collègue qui avait rentré les données pour 350 personnes en minuscules a dû tout retaper en majuscules alors que nous n’avons pas assez de créneaux pour recevoir les demandeurs d’emploi ! En parallèle, Pôle emploi développe aussi une politique de sûreté, notamment pour repérer les personnes radicalisées. »Des ambassadeurs de sûreté devraient ainsi être désignés sur chaque site pour faire le lien avec la préfecture et le ministère de l’Intérieur, également en cas d’agression ou d’envahissement d’une agence. Une orientation contestée par certains syndicats mais sans effet sur la charge de travail.

D’autant que la précarisation croissante des agents ajoute une couche de stress : 16 à 19 % des effectifs sont en contrats précaires. De son côté, la direction communique abondamment sur les 900 recrutements en CDI pour le contrat engagement jeune. En réalité, entre les suppressions d’emplois et les embauches, l’établissement public devrait compter seulement 100 renforts en plus cette année. À partir de mars 2022, 550 postes supplémentaires en contrats à durée déterminée de dix-huit mois viendront s’ajouter. Même en misant sur la dématérialisation accrue et une autonomisation des demandeurs d’emploi, ce saupoudrage est insuffisant.« Des précaires qui accueillent d’autres précaires en agence, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux.Ce ne sont pas les personnels en CDD qui vont procéder aux calculs de la réforme de l’assurance-chômage. Des conseillers indemnisation se sont retrouvés à valider des dossiers d’allocation avec 2 euros par jour, une honte ! Plus personne n’a le temps de servir correctement les usagers. Un collègue à qui on a imposé de “travailler” son portefeuille de chômeurs et qui a exposé sa surcharge s’est vu répondre : “Tu n’as qu’à faire du yoga, ça te fera du bien.” Beaucoup d’agents se satisfont du télétravail car ils ressentent moins la pression. Tout le monde veut que cela se calme et exige des rémunérations dignes de ce nom. »       

      

                                                                                             Extrait de l'humanité par  Cécile Rousseau

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